Qu’est-ce que le métier de moniteur éducateur ? Comment l’exerce-t-on auprès d’enfants et d’adolescents autistes ? Pour répondre à ces questions, on est allé à la rencontre d’Aurore Kiesler, monitrice éducatrice.
Aurore Kiesler, professionnelle à multiples casquettes
Aurore n’est pas seulement monitrice éducatrice au sein d’une structure d’enfants et d’adolescents autistes, le DASCA (Dispositif d’Accompagnement et de Soins Coordonnés pour l’Autisme) de l’association Adèle de Glaubitz à Strasbourg. Elle est aussi référente mission ressource autisme et numérique du dispositif.
En plus de cette activité professionnelle, elle est la présidente et membre fondateur de l’association Autismes Aujourd’hui.
Avant d’en arriver là, Aurore a passé un BEP carrières sanitaires et sociales et un baccalauréat en sciences médico-sociales. Elle a fait un passage à la faculté de psychologie. En 2019, elle a obtenu un DU sur l’autisme à l’Université de Strasbourg. Depuis quelques jours, Aurore a validé une Certification professionnelle de compétences UNAFORIS « Intervenir auprès des personnes avec troubles du spectre de l’autisme ».
Vous l’aurez compris, son sujet de prédilection, c’est l’autisme : l’accompagner et participer à son inclusion dans la société.
Le métier de monitrice éducatrice et les missions de référente
Comment voyez-vous votre métier : une vocation, un heureux hasard ou une suite logique dans votre parcours personnel ou professionnel ?
Aurore Kiesler : Je pense que c’est une vocation parce que je suis passionnée par mon métier. C’est aussi une suite logique de mes études et de mon parcours professionnel. Par contre, je ne savais pas que j’allais tomber dans la marmite de l’autisme et que l’autisme est un sujet très passionnant. Mon métier m’a permis de poursuivre dans ce domaine.
Comment définissez-vous votre métier en une seule phrase ?
A.K. : C’est un métier du lien, du partage et qui est indispensable. On donne beaucoup, mais on reçoit beaucoup en retour et c’est ça aussi qui nous nourrit dans ces métiers-là.
Pouvez-vous nous raconter une journée type de votre métier ?
A.K. : Alors là, joker ! Quand je travaille avec des enfants autistes, ou dans mon autre poste où j’ai plein de casquettes ? (sourire)
Dans une journée type en tant qu’éducatrice avec des enfants autistes, on commence par accueillir les enfants le matin au taxi. Les accueillir dans leur globalité : c’est-à-dire à partir de là où ils en sont, parce que certains peuvent arriver déjà avec un trop plein, avec des émotions… Ensuite je leur présente la journée. Et puis, après, on va les accompagner sur les différentes activités ou les différents accompagnements. Ça peut être éducatif, pédagogique ou thérapeutique. Et on va rythmer avec eux la vie quotidienne avec les goûters, les repas, les accompagnements aux toilettes, le lavage des mains, le brossage des dents, etc. Et cela jusqu’à 16h.
C'est un métier du lien, du partage et qui est indispensable
En parallèle, je suis référente mission ressource autisme et numérique. Donc mon temps est partagé, j’ai plusieurs missions dans lesquelles je vais faire un appui éducatif. Pour moi c’est important d’être toujours en contact avec les enfants, de pouvoir proposer des ateliers numériques et robotiques. Sur la mission ressource, je vais être formatrice ou faire des interventions auprès des partenaires, monter des projets, participer à des groupes de réflexion. Et sur le numérique, ma mission est de superviser toute la gestion du numérique mais aussi avec les partenaires extérieurs.
Donc c’est vraiment quelque chose qui est lié parce que finalement les ateliers que je peux faire avec les enfants sont en lien avec le numérique. Et du coup, il faut gérer tout ce qui est en amont : mettre en place des procédures, trouver des nouveaux outils. Et la partie autisme me permet aussi de parler du fonctionnement d’une personne autiste et de l’expliquer aux personnes qui peuvent être en lien avec les enfants qu’on accompagne.
Qu’aimez-vous le plus dans votre métier ?
A.K. : Travailler avec des personnes autistes, c’est comme si on devait résoudre une énigme chaque jour. Tous les jours sont différents. Et c’est ça qui, moi, me plaît dans ce métier-là. Du coup, on va trouver à chaque fois de nouveaux projets à développer, à accompagner. On va toujours s’adapter, en fait. On est un peu comme les Sherlock Holmes de l’autisme, on va toujours être en train d’observer, d’analyser, de poser des hypothèses, pour aider les personnes.
Parfois, avec des toutes petites choses, on a l’impression d’avoir un gros impact. Par exemple, avec des enfants qui ont des troubles de la communication, on va leur proposer une image pour communiquer et on va se rendre compte que cette image permet à l’enfant de communiquer d’une manière adaptée et que toute la situation se pose derrière. Alors qu’on a juste montrer une image, a priori ce n’est pas grand-chose, mais ça a un tel impact sur la vie de la personne. C’est vraiment satisfaisant. Et c’est valorisant aussi, ça donne envie de continuer.
Quand on voit que ce qu’on propose fonctionne et que ça un impact sur leur vie, sur la vie de l’enfant qu’on accompagne, mais aussi sur la vie de sa famille, et bien c’est très très valorisant. Moi, je m’épanouis dans ce domaine-là.
Si vous deviez modifier ou améliorer une chose dans la pratique de votre métier, ce serait quoi ?
A.K. : Je pars du principe que tout le monde peut mettre une pierre à l’édifice pour le changement. On peut participer à ce changement, ça c’est sûr. Je pense que ce qu’on voit actuellement avec le Ségur par exemple, c’est que nos métiers sont plutôt dévalorisés, que ce sont des métiers qui sont importants. Peut-être fallait-il une crise sanitaire pour qu’on s’en rende compte.
On parle aussi de certains métiers à risque. Travailler avec des enfants autistes, c’est quelque chose qui engendre une fatigue physique, psychologique, mentale. Il arrive qu’on se fasse cracher dessus ou qu’on se fasse griffer, par exemple. C’est une réalité qui ne valorise pas forcément le métier, et pourtant il est tellement gratifiant dans d’autres choses, notamment quand on se rend compte qu’on peut aider les personnes. En fait, je dirais plutôt que cette reconnaissance-là de notre métier n’est pas placée à sa juste valeur.
Personnellement, j’avais été très touchée par le film Hors Normes parce que ce film a montré pour une fois une autre vision de l’autisme, du grand quotidien. Je l’avais montré à ma famille et elle s’est rendu compte de mon quotidien en tant qu’éducatrice.
Mais il y a quelque chose qui me dérange souvent, c’est quand on me dit « tu as du courage de faire ça, moi je ne pourrais pas ». Alors que, pour moi, ce n’est pas du courage. En fait, il s’agit plutôt d’oser aller à la rencontre d’autres personnes.
Aller à la rencontre du grand public, leur expliquer ce que c’est l’autisme, pour changer de regard.
Je suis aussi la Présidente d’une association qui s’appelle Autismes Aujourd’hui, autismes avec un « s » et ça a été volontaire pour souligner la singularité et la pluralité de chaque personne autiste. Je suis à l’initiative de la création de cette association qui a pour membres des parents et des professionnels. L’association Autismes Aujourd’hui a pour mission de sensibiliser le grand public à l’autisme, en organisant des événements autour de la journée internationale de l’autisme. (2 avril)
Tout est parti d’un constat : on m’avait fait comprendre que mon travail commençait à 8h et finissait à 16h et que, du coup, je ne pouvais pas travailler avec la famille en dehors. Sauf que je me disais que l’autisme, en fait, c’est 24h sur 24, sept jours sur sept, pendant toute l’année. Donc je me suis demandé : comment aider les familles ? Par exemple, quand on allait dans un supermarché avec un collègue, comme certains enfants peuvent avoir des troubles du comportement, et bien mon collègue gérait l’enfant pendant que, moi, j’allais expliquer à la caissière ce qui s’était passé. Mais un parent n’a pas le temps de faire ça. Et souvent, les parents s’isolaient. L’association est née de tout cela, de ce constat-là : devoir parler de l’autisme.
Et pourquoi je vous en parle ici ? C’est qu’avec l’autisme, il y a beaucoup de préjugés. On nous demande d’être une société inclusive, mais on sait que l’inconnu nous fait peur. Et comment inclure quelque chose qui fait peur si on ne l’explique pas ? C’est pour ça qu’on crée des événements dans des lieux publics pour aller expliquer l’autisme, pour aller à la rencontre du grand public, pour leur expliquer ce que c’est l’autisme, pour changer de regard. Et je pense que c’est comme ça que les personnes autistes pourront être beaucoup mieux incluses dans notre société.
Quand je commence mes sensibilisations, je commence tout de suite en disant que je n’ai pas de baguette magique, je n’ai pas de recette miracle à donner, d’ailleurs elle n’existe pas, par contre je peux vous donner un autre regard sur la situation et vous donner une boîte à outils dans laquelle vous pourrez piocher.
L’évolution numérique du secteur médico-social
Quel est votre rapport avec les outils numériques ?
A.K. : J’ai toujours eu un intérêt pour les outils numériques et c’est quelque chose qui m’a toujours passionnée. Je suis à l’aise avec. S’il y a quelque chose que je ne comprends pas, je vais être un peu autodidacte et aller chercher par moi-même comment ça fonctionne. C’est pourquoi j’ai beaucoup monté en compétences en autodidacte sur les outils numériques.
Quel regard portez-vous sur la transformation numérique dans le secteur médico-social ?
A.K. : Concernant la transformation du numérique dans le secteur du médico-social pour les professionnels, on évolue. On le voit au niveau sociétal, avec la déclaration des impôts en ligne par exemple, les comportements évoluent. En revanche, cette évolution, comme les changements de regards, a besoin d’être accompagnée.
On pourrait dire que certaines générations sont réfractaires, mais il n’y a pas vraiment d’âges en fait, je dirais que c’est plutôt lié à chaque individu. Il y a des préjugés ou des barrières qu’il faut dépasser ou accompagner pour trouver l’intérêt au numérique. Souvent, c’est ça qui n’est pas assez mis en valeur. Les gens pensent que c’est plutôt une perte de temps, qu’on leur demande trop de temps pour remplir tout ça, mais ils n’en voient pas l’effet bénéfique sur le long terme.
Pour moi, cette transformation sera surtout dans le domaine de l’autisme. On sait que les personnes autistes ont un certain intérêt pour le numérique. On va l’utiliser comme un moyen, c’est à dire comme une boîte à outils.
Les outils numériques, c’est quand même très vaste. Il y a pas mal de choses qui se développent. Quand je parle d’outils numériques, je parle de la tablette avec plusieurs applications, ça peut être l’ordinateur, ça peut être une montre connectée, un téléphone, ça peut aller dans la robotique ou même les jeux vidéo.
L’autisme en numérique a un bon potentiel, en tout cas à développer.
L’outil numérique est un moyen et il est primordial qu’il y ait un accompagnement, c’est à dire un objectif encadré au bénéfice de la personne qu’on accompagne. On se rend compte qu’il y a certaines choses qui sont beaucoup plus faciles à aborder par le numérique ou même des nouveautés. Mais le numérique ne doit pas être une fin en soi. Ce doit être comme un outil transitionnel ou qui peut améliorer la vie de la personne. Or cela nécessite aussi une transformation de la pratique professionnelle pour les professionnels. On oublie en effet souvent des étapes : définir l’objectif de l’utilisation, mais aussi savoir prendre en main l’outil. Avant de se dire qu’il faut cette application pour cet enfant, il faut se demander si l’on sait déjà comment déverrouiller l’appareil, comment aller dans l’application. Donc ça demande de maîtriser des étapes au préalable.
Les personnes autistes sont très déroutantes parce qu’elles vont beaucoup plus vite que nous. Il faut savoir que les personnes autistes sont des penseurs visuels. Si bien que tout ce qui est visuel est beaucoup plus facile d’accès pour elles. Une tablette, un TBI (tableau blanc interactif), un ordinateur ou un téléphone aura toujours le même fonctionnement : ouvrir, démarrer, ouvrir votre fichier, etc. Quand on est en face d’une personne, on va lui donner une consigne. Avec la dimension 3D, avec l’environnement autour, pour la personne autiste, l’outil numérique est beaucoup plus simple à utiliser.
L’autisme en numérique a un beau potentiel, en tout cas à développer. On se rend compte que ça fonctionne pour les personnes, donc ça donne envie de continuer.
Avez-vous des appréhensions ou au contraire des espoirs concernant cette évolution ?
A.K. : Je pense plutôt des espoirs. Je suis plutôt quelqu’un de très positif. Je pense que ce sont des choses qui vont se développer de plus en plus, dans l’intérêt des personnes qu’on accompagne.
La seule petite appréhension est sur ce besoin d’accompagnement, pour lequel il faut une certaine vigilance.
Également veiller à ce que le numérique ne déshumanise pas. Ça doit être accompagné ou encadré. Le but n’est pas de substituer l’humain ou l’éducateur. Au contraire, c’est plutôt de créer des relations grâce à ces outils-là. Il faut veiller à ce que ça ne devienne pas une nounou virtuelle, et qu’on ne devienne pas des robots.
Quand on met en place des outils numériques, il faut qu’on ait bien en tête que ce sont des moyens et qu’ils ne sont pas une fin en soi. Si on le dit dès le début, ces appréhensions-là ne devraient pas être apparaître.
L’avenir dans le secteur médico-social
Si vous vous projetez dans le futur, vous vous voyez où et comment dans 10 ans ?
Aurore Kiesler : Où ? Sur la Terre ! (sourire) Je ne sais pas où physiquement. Et comment ? Peut-être sur la démarche d’accompagnement au numérique qui sera mise en place ou à laquelle que je pourrais contribuer d’une manière plus grande, peut-être pas seulement dans l’établissement.
Le numérique est quelque chose qui se développe de plus en plus et qui répondra de plus en plus à des besoins.
(Propos recueillis en juillet 2022)
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