À quoi sert la curiosité ? Comment les chercheurs organisent-ils leur pensée ? Quels sont certains pièges à éviter lorsque l’on mène un raisonnement ? Je vous propose de découvrir quelques éléments de réponses dans les lignes suivantes.
"Dis-moi, comment on fait les bébés ?"
Dès notre plus jeune âge, nous partons à la recherche de réponses à de très nombreuses questions. Des plus naïves aux plus complexes. Des plus attendrissantes aux plus sérieuses. Là où l’expression dit que la curiosité est un vilain défaut, ne pourrions-nous pas la penser comme une formidable qualité ?
Que nous ayons réponse à tout, ou que la réponse soit sur le bout de notre langue. À tous les âges de la vie, que l’on soit un chercheur chevronné ou non. Questions et réponses se mêlent chaque jour, à chaque seconde, dans des millions de discussions à travers le Monde.
Compréhension, adaptation, survie
Nous pourrions penser la curiosité de l’être humain comme une faculté innée. Celle-ci nous amènerait, étape par étape, de la compréhension d’un phénomène, à notre adaptation, dans un objectif de survie.
Compréhension
Toutes les questions que l’être Humain se pose lui permettent d’accéder à une meilleure compréhension du Monde qui l’entoure. Fruit de sa curiosité ou d’un certain instinct, elles ont donné naissance à des domaines d’étude d’une grande variété, des mathématiques à la sociologie, en passant par l’astrophysique ou les sciences du mouvement. Mais pourquoi cherchons-nous si ardemment à comprendre ce qu’il se passe autour de nous ?
Adaptation
La compréhension, c’est ce qui permet l’adaptation. C’est en comprenant les principes physiques et chimiques présents dans la Nature que l’être Humain a développé des technologies et des outils pour lui permettre de mieux l’appréhender. Parmi les plus grandes inventions de l’Humanité, sont souvent citées celle de la roue, de l’écriture, ou encore de l’ampoule électrique. Si nous mettons un point d’orgue à ne pas oublier ces créations, c’est parce qu’elles nous ont permis de faire un bond dans notre adaptation au Monde. Mais pourquoi s’adapter ?
Survie
L’adaptation, c’est ce qui permet la survie. Cet instinct de survie que nous partageons tous pourrait nous laisser croire qu’en chacun de nous sommeille un chercheur et un inventeur, plus ou moins endormi. Au fil des siècles, la recherche scientifique s’est structurée, et s’est dotée de divers outils. Les scientifiques ont défini des principes pour produire de la « bonne recherche », c’est-à-dire valide et fiable. Ils ont construit des méthodes de recherche, très diverses, qui permettent chacune de réaliser des recueils et de l’analyse de données avec une grande rigueur : méthodes descriptives, expérimentales, exploratoires…La Recherche dépasse de loin les murs du laboratoire.
Objet de recherche, entreprise scientifique et paradigme
Les connaissances que nous avons sont en constante évolution. Elles sont chaque jour enrichies, complétées, mais aussi questionnées et remises en cause. C’est là l’objet de la Recherche Scientifique. Comme dans tous domaines, un vocabulaire très précis y est employé.
Objet de recherche
Les chercheurs ont ce que l’on appelle des « objets de recherche ». Ces objets ne sont pas matériels. Il s’agit de thématiques, de construits idéologiques, de domaines, qui permettent de circonscrire un certain périmètre d’étude. Par exemple, étudier la migration des cigognes sera très différent de l’étude de leur anatomie. Dans les deux cas, nous nous intéresserons au même animal. Pourtant, ils feront appel à des connaissances et à des expertises bien distinctes, parfois complémentaires. C’est pour marquer cette distinction que les chercheurs définissent leur objet d’étude avec une grande précision.
Rappelons la métaphore attribuée à Bernard de Chartres : Faire de la recherche, c’est monter sur les épaules d’un géant. Le Monde de la recherche est vaste. Fixer des limites aux frontières de la connaissance permettra donc de les repousser, pas à pas, pour tenter d’apporter à chaque fois un petit bout de connaissance en plus.
Entreprise scientifique
Ces objets de recherche sont partagés entre chercheurs, tout autour du monde, et donnent naissance à des communautés toutes animées par leur curiosité autour d’un même objet de recherche. Ces communautés peuvent être qualifiées d’« entreprises scientifiques », au sens de regroupement de personnes. De Ketele et Maroy l’explique bien, l’objet de l’entreprise scientifique, c’est de « produire de l’intelligibilité ». Les chercheurs tentent d’objectiver ce qu’ils observent dans le Monde, en mettant en place des situations expérimentales. Ces situations empiriques permettent d’en contrôler et d’isoler très précisément certaines composantes. C’est ce que l’on nomme des « variables ». Selon leur modification lors de l’expérience, le chercheur pourra en déduire des réponses à une question de recherche posée.
Chacune des étapes qui compose le cheminement d’une étude fait l’objet d’un processus clairement énoncé. C’est ce que l’on pourrait nommer la « démarche méthodologique », qui répond à certaines questions : quel est le problème identifié ? Quelle est la problématique très précise qui est formulée ? Que savons-nous aujourd’hui de cet objet de recherche ? Quels outils vont ensuite être mis en place pour permettre d’aller plus loin ?
Paradigme
Au sein d’une communauté scientifique, des idées convergentes et divergentes cohabitent. Tout comme une œuvre d’art ne sera pas perçue de la même manière d’un individu à l’autre, il en va de même dans la manière de traiter une problématique. C’est là le fruit de notre subjectivité, nourrie de notre personnalité et de notre parcours.
C’est la démarche méthodologique qui apporte l’objectivité qui contrebalance cette subjectivité. Le chercheur précisera son paradigme, c’est-à-dire le point de vue à partir duquel il va étudier son objet de recherche. C’est ce qui permet au chercheur d’expliciter les différentes théories sur lesquelles il s’appuiera lors de son expérimentation.
Co-occurrence, corrélation et causalité
Les notions de co-occurrence, corrélation et causalité ont tendance à être confondues. Pourtant, il semble essentiel de pouvoir bien les distinguer. Cette confusion amène régulièrement à des raccourcis intellectuels, qui amènent eux-mêmes à des interprétations partielles, sinon erronées.
Co-occurence
La notion d’occurrence concerne des domaines très variés, en linguistique, en mathématiques, en sociologie ou en philosophie. Elle se définit comme un évènement ou une circonstance qui se présente fortuitement. La co-occurrence, est quant à elle « l’apparition simultanée de deux ou plusieurs éléments ». L’occurrence de deux phénomènes n’implique donc pas de fait une interaction entre eux. Deux phénomènes qui apparaissent conjointement n’ont pas forcément un lien entre eux.
Par exemple, nous pourrions constater que les personnes qui fument ont régulièrement un briquet dans leur poche. Nous pourrions aussi faire l’observation que la plupart des personnes ayant un cancer du poumon sont des fumeurs. Il y a donc là une co-occurrence entre la présence du briquet dans la proche du fumeur et le fait d’avoir un cancer du poumon. Pour autant, il n’y a aucun lien de cause à effet entre ces deux phénomènes.
Corrélation
La notion de corrélation fait, elle, référence à une méthode de recherche en psychologie. Borst et Cachia expliquent que la méthode corrélationnelle permet d’étudier à la fois les relations qui existent entre les individus, mais aussi entre les comportements, les processus cognitifs ou les traits de personnalité. Elle permettrait ains, lorsqu’un lien est observé entre deux comportements ou caractéristiques d’un individu, d’établir des prédictions. Pour autant, cette mise en lien n’est pas synonyme de causalité. Deux évènements peuvent apparaître et évoluer dans un même sens, sans que l’un ne soit la cause de l’autre.
Une citation de Coluche est régulièrement reprise pour illustrer l’incompréhension de la distinction entre corrélation et causalité : « Quand on est malade, il ne faut surtout pas aller à l’hôpital, la probabilité de mourir dans un lit d’hôpital est 10 fois plus grande que dans son lit à la maison ». Nous pouvons y lire une mise en garde quant aux interprétations trop hâtives.
Causalité
Développons maintenant la notion de causalité. Bourgeois-Gironde définit la causalité comme servant à rendre compte des changements dans le Monde. Gnassounou nous explique qu’il y a des lois de la nature qui sont générales et relationnelle. C’est une notion notamment travaillée chez le philosophe rationnel Leibniz. La causalité est une corrélation où l’une des composantes agit sur l’autre et en est la cause. Si nous reprenons l’exemple de la cigarette, il y a bien un lien de causalité qui a été démontré entre le tabagisme et le cancer du poumon.
La compréhension de ces trois notions apparaît donc comme essentielle pour émettre des interprétations justes. Le chercheur met en œuvre cet esprit critique et cette rigueur méthodologiques pour s’assurer que co-occurrence, corrélation et causalité ne se mélangent pas.
Conclusion
Retenons que la curiosité, cette petite voix dans nos esprits qui nous pose des centaines de questions chaque jour, est un précieux atout pour nous permettre de nous adapter et de survivre. La curiosité des enfants est aussi riche que leur imaginaire, et nous pouvons remarquer qu’en perdant une certaine naïveté infantile, l’être Humain perd aussi cette capacité à s’émerveiller du Monde et à interroger son fonctionnement. Peut-être cela est-il dû au fait de ne pas pouvoir tout expliquer ?
Cette quelques lignes ouvrent la réflexion sur le lien entre curiosité et Recherche. Elles tendent à illustrer un continuum entre créativité et rigueur scientifique. Nous avons tous une certaine tendance à la curiosité, plus ou moins développée selon notre caractère. Si nous ne sommes pas tous des « curieux.se·s », nous avons néanmoins des questions qui appellent des réponses. Je vous invite donc à développer tant votre curiosité que votre rigueur et votre exigence face aux réponses que vous trouverez.
Voltaire, dans Candide, nous conseillait de cultiver notre jardin secret. Ne faudrait-il pas également, chaque jour, cultiver notre curiosité ?
✍️ Auteur : Idriss Issop, expert en psychomotricité, doctorant, responsable de la relation client chez Juggle
Bibliographie
- Borst, G. & Cachia, A. (2018). Les méthodes en psychologie. Presses Universitaires de France.
- De Ketele, J. & Maroy, C. (2006). Conclusion. Quels critères de qualité pour les recherches en éducation ?. Dans : Léopold Paquay éd., L’analyse qualitative en éducation: Des pratiques de recherche aux critères de qualité (pp. 219-249). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.
- Gnassounou, B. (2013). Causalité, puissance et lois de la nature chez Leibniz. Revue d’histoire des sciences, 66, 33-72.